Les 5 à 7 d’une colonie de vacances

Il y a, dans la haute Gatineau, des centaines de lacs. Certains surpeuplés, d’autres tout juste cartographiés, chacun attire un profil de vacancier particulier.

Le plus remarquable est le grégaire. Traînant habituellement sa maison sur quatre pneus, il occupe heureusement un espace restreint. Le concept de la densification de la population est scrupuleusement suivi non pas pour des raisons écolo-urbanistiques mais bien pour son plus grand plaisir. Pouvant à peine identifier le voisin immédiat de sa résidence principale, le grégaire se fait un honneur de connaître jusqu’au dernier membre de la cité estivale. À croire que le port du chandail crée une barrière sociale puisque celui-ci évolue la bedaine à l’air, une bouteille de bière à la main. Enfin libéré de son carcan de textile mou obligatoire en banlieue, plus rien n’arrête ses élans amicaux.

Vient ensuite le sauvage. Ce groupe se subdivise en deux catégories : le technique et le vrai. Le technique a une obsession : l’équipement. Cherchant tout prétexte boiteux ou pas pour passer des heures à répertorier le nouvel inventaire des grandes surfaces de plein air, il occupe le reste de son temps à feuilleter leurs catalogues. Le technique aime s’exclamer devant le moindre gramme en moins du dernier modèle de tente, faire une dégustation de la recette revisitée d’osso buco déshydraté et se munir (enfin!) de la montre-altimètre-polysomnogramme-coach-de-vie. Toutes ses recherches ne lui laissent pas beaucoup de temps pour les expéditions. Qu’à cela ne tienne, si l’occasion se présente, il sera prêt.

Tandis que le vrai, lui, s’enfonce dans les bois, avec seuls vêtements ceux sur son dos, deux allumettes dans ses poches (au cas où il serait mal pris) et un couteau. Il élit domicile sur une mousse particulièrement spongieuse, au pied d’un chêne qui le protégera de la foudre contrairement à l’érable argenté. S’abreuvant d’eau de pluie recueillie dans une écuelle d’écorce, il se nourrit de petits fruits et de poissons pêchés à l’aide d’une perche préalablement aiguisée. Il s’oriente à l’aide de son pouce et des astres pour se diriger vers la terra incognita.

Et entre ses extrémités du spectre évolue la plupart d’entre nous. N’étant ni grégaire ni sauvage, j’accepte de suivre la famille de M. B au chalet.  Il se situe dans la haute Gatineau (justement), sur une languette de terre coincée entre deux lacs dont l’un est Vert.  Sur cette languette est disséminée moins d’une dizaine de chalets de grandeurs variables.  Un long quai s’avance vers le milieu du lac.  Et en bordure s’étend une plage partagée par tous les locataires du moment où les petits creusent des canaux reliant des réservoirs.  Ces réservoirs serviront de pouponnières de grenouilles espère-t-on.

À l’ombre de majestueux érables, les grands se présentent et procèdent à de menues conversations mondaines.  Tous sourient et vantent la beauté des lieux, pouvant enfin décrocher d’une quotidienneté rodée au quart de tour.

Le soir venu, après une âpre négociation quant à la distribution des lits, on clôt la journée par un bain de minuit.  Les lèvres bien bleues, nous allons rejoindre un groupe déjà autour du feu.  Les discussions vont bon train : les connaissances qui nous unissent sont découvertes et nous débattons de la mort plus ou moins satisfaisante de Geoffrey dans GOT.  Et soudain, deux rats sortent du coton ouaté d’une des comparses.  Ah ben.

Les journées se suivent et se ressemblent : grasses matinées parfumées de bacon, plage ensoleillée, soupers sur le grill, saucettes nocturnes et feux de joie.

Et encore.  En fait, pas tout à fait.  De la confiture barbouille encore ma bouche quand un grain de sable s’incruste dans l’engrenage de notre nouveau quotidien.  Pour des raisons de sécurité, les trempettes sous la lune sont interdites.  Ah oui.  J’oubliais.  Une colonie de vacances s’accompagne toujours d’une liste exhaustive de règlements faisant de ce territoire un univers parallèle au reste du monde.  À suivre religieusement sous peine d’être réexpédiés vers la morne réalité de tous les jours.  Bon.

Mais le grain de sable se transforme alors en caillou : trop de joie ne peut être exprimée trop tard.  Voisins obligent.

Drôle d’idée, en effet, de faire un feu à la tombée de la nuit.  Plus inusité encore, se coucher après minuit et se lever après dix h.  Si je ne m’abuse, les vacanciers qui peuplent la colonie sont… en vacances.  Et qu’est-ce que les vacances? Je ne le sais pas pour vous, mais pour moi, outre de ne pas travailler, c’est de n’être régie par aucun horaire mis à part celui de mon estomac.  Cela étant dit, mes envies ne doivent pas empiéter celles des autres.  Soit.  Seulement, la proximité demande une certaine tolérance d’une part et d’autre.  Et cette plainte illustre une fois de plus l’incompréhension d’autrui devant un rythme de vie non conventionnel.  J’entends par ça tout autre horaire de travail que le constipant 8 à 16 du lundi ou vendredi.  Et surtout, de ne pas s’être reproduit à l’âge vénérable de 30 ans et de n’être pas près de le faire.  Une combinaison rendant les interactions sociales ardues.  Peu importe la situation ou le sujet, pour clore la discussion, on a toujours droit au sempiternel non-argument : «Tu ne peux pas comprendre, tu n’as pas d’enfant».

Cette plainte me démontrant que même en vacances, dans le fin fond des bois, sans pression d’un horaire ou d’obligations d’efficience, il n’y a pas beaucoup de place à la non conventionnaliste.  Alors, sachant que je ne suis ni grégaire, ni sauvage, ni même colonie de vacances, je suis retournée chez moi.

Publicité

Un tour du monde commence toujours quelque part

Assise sur une chaise de plastique thermoformée, j’observe la rue du haut d’un balcon du troisième. Ainsi perchée, je me camoufle à travers la cime des arbres. Une vieille dame couronnée d’un plastique protecteur de bigoudis promène son chat. De la pluie a été annoncée toute la journée. On n’est jamais trop prévoyante. Sur les marches d’en bas, un voisin clope. Les vélos passent avec pas de casque ou non. Aucun ne se doute qu’il est épié.  Ah! Voilà la dame aux bigoudis qui repasse.

La lune est depuis longtemps le seul astre qui illumine le ciel.  Et malgré le soir du milieu de semaine, la jeunesse peuple les trottoirs.  On discute ferme de clips vus sur YouTube.  La langue dans la bouche d’un autre, la conversation cesse.  Entre deux réverbères audiblement au sodium, une pénombre jaunâtre découpe une silhouette unique.

Les portes et fenêtres des appartements s’ouvrent, tentant d’aspirer un peu d’air nouveau.  Je ne suis plus seule dans les hauteurs.  Quelques amis finissent la soirée sur un balcon, tenant un digestif d’une main et gesticulant d’une autre.  Je ne les connais pas.  Typiquement citadin comme constat.  N’ayant pas de bouchon d’oreilles, je me glisse dans leur discussion aussi discrètement que l’affichage en français des commerçants sur Ste-Cath.  Deux des comparses sont de retour d’un voyage de plusieurs mois.

Pendant plus d’une heure, ils relatent leurs aventures à travers une Inde aux frontières du Népal, décrivent des montagnes éternellement étincelantes de neige et les rites nuptiaux vietnamiens.  Des couleurs, des odeurs, des coutumes qui me sont étrangères et qui me donnent des idées de globe-trotters.

Le bruit cristallin du goulot de la bouteille de vin sur le rebord de la coupe m’extirpe de ma torpeur.  Je rejoins leur récit au pied du pont Jacques-Cartier où ils flânent dans un village éphémère habité par des artisans de produits uniques et d’idées urbanistiques révolutionnaires.  Je les suis en vélo, sur les rives du canal Lachine animées par des marchés, des yogis et des festivaliers.  Tout au bout de la piste cyclable, un parc orné de sculptures et un soleil plongeant dans les eaux provenant d’un fleuve et d’une rivière tous deux historiques.  Rien ne laisse entrevoir une neurasthénie caractéristique à un retour de voyage.  Bien au contraire.  Que des mots décrivant la réappropriation d’une ville d’une beauté singulière, pleine.  Pleine de dépanneurs, d’escaliers, de shacks à patate, de lumières au sodium et de bagels.  Belle place pour commencer un tour du monde.