À bas la menthe givrée

Une journée comme les autres en ce début d’automne.  M. B et moi marchons sur une rue commerciale, d’une friperie à une librairie/disquaire usagé à l’autre.  M. B est très volubile puisqu’en fait, ce n’est pas une journée comme les autres.  Il a mis la main sur un modèle de pédale datant de l’âge d’or du rock.  N’ayant jamais même osé rêver en posséder une, il rit des joyeux hasards que parsème la vie des brocanteurs amateurs.

La faim le ramène enfin sur Terre.  Nous choisissons alors de casser la croûte d’un sandwich de falafels généreusement accompagné de condiments reconnus pour laisser une trace olfactive caractéristique.  Un délice!

De retour dans la rue, me léchant encore les doigts, une publicité mainte et mainte fois vue et lue accroche mon regard : «La mauvaise haleine n’est pas sexy ».  On étaye le slogan d’une représentation d’aliments associés à ce qui semble être une tare honteuse. La réflexion me passe par la tête : je ne dois certainement pas être sexy en ce moment.  Qu’importe, je ne pensais pas frencher quelqu’un d’autre que M. B aujourd’hui, sa moustache retenant encore les derniers vestiges de son lunch.  Mais la question se pose tout de même.  Refuserait-on de mettre sa langue dans ma bouche ayant accueilli plus tôt des aliments prohibés?  À en croire cette publicité, oui.

Une question en amène une autre.  Y a-t-il consensus sur les aliments pas sexy?  D’après une population sondée par moi-même selon des techniques statistiques qui désespéreraient mes profs en la matière, il apparaît que oui.  Nommons en premier lieu l’ail et l’oignon.  Viennent ensuite toutes sortes d’épices dites exotiques.  Bon.  On a l’exotisme facile encore une fois à mon avis (pour connaître mon opinion sur le sujet, vous référer à La couleur du gruau).

Comprenez-moi bien.  Il y a des odeurs universellement rébarbatives comme une moufette stressée par exemple.  Il y a aussi des odeurs qui rappellent des souvenirs désagréables, l’odorat ayant un pouvoir de réminiscence indéniable.

Seulement, le spectre classant les odeurs de pestilentielles à paradisiaques n’a pas été statique à travers l’histoire.  Partant des sociétés insalubres où les villes aromatisaient l’atmosphère d’une charmante odeur de putréfaction à des kilomètres à la ronde, on a voulu, par des politiques d’urbanisation et de santé publique, assainir notre environnement.  Ultimement, il s’agissait « d’atténuer les différences olfactives entre les couches sociales » (Tran Ba Huy, 2000).  Louable comme projet.

Quelques centaines d’années plus tard, à une époque dans laquelle l’émanation d’une odeur de sueur ou d’ail est perçue comme un bris aux codes sociaux, l’asepsie est de mise.  Objectif : silence olfactif.  Vraiment? En me pliant quotidiennement aux règles de la bienséance de la bonne haleine, une odeur de menthe givrée se dégage alors.  Quant à mes cheveux et mes aisselles, ils sont agrémentés du parfum d’une fleur quelconque.  Le zéro absolu en termes d’odorat est donc bien subjectif et relatif.

Et je m’insurge contre cette personne anonyme employée par cette terne entreprise qui a déterminé pour moi et pour nous tous le politically correct olfactif.  Je revendique le droit à l’emprunte odorante de mon choix. Pas une odeur générique vendue et portée par la masse, mais mon odeur!  Une odeur variant selon la saison, mon alimentation, mon humeur.  Car qui veut d’une vie sans exotisme, sans épice, sans goût d’ail ou d’oignon?  Pas moi.

TRAN BA HUY, Patrice.  « Odorat et histoire sociale. Physiologie de la communication« ( en ligne), Communcation et langage, no. 129 (2000)  http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_2000_num_126_1_3046, (page consultée le 24 septembre 2014)

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