Jour après jour après jour

Drôle de concept que la Fête du Travail.  Une journée de congé suivant le début des classes, une journée de congé à la fin de la période estivale.  Une toute petite journée de congé pour nous rappeler combien il était agréable de flâner tard dans un parc, libre d’une routine normalement planifiée à la minute près.  Et on nomme ce férié fête du Travail.  Je ressens un malaise devant ce grotesque oxymore.

Qu’y a-t-il de festif dans le 8 à 4, du lundi au vendredi qu’impose trop souvent le boulot?  Peut-être est-il vu, pour certains, comme un objectif professionnel à atteindre?  Mais, à bien y penser, cet horaire rigide oblige une grande capacité à ignorer notre rythme circadien intrinsèque.  Une rigidité à l’origine d’une invention des plus sadiques : le réveil-matin.

On finit par se lever donc, débutant dès lundi, à accumuler un déficit de sommeil.  On se fouette à coup de caféine et notre journée débute dans le trafic.  Et toute la journée, on se doit d’être productif, novateur en étant souriant et disposé à abattre des montagnes.  Cela dit, nous avons un travail stimulant.  Nous avons étudié des années pour y parvenir.

La fin d’après-midi arrive, et, contrairement aux journées précédentes, nous revenons à la maison sans rapporter un dossier à finaliser — joie!  Une fois rendus, nous allons faire des courses, car l’overtime des derniers jours ne nous y a pas permis de garnir le frigo.  Quoi acheter?  Question cruciale beaucoup trop énergivore à considérer après une journée de boulot.  Et pourtant, on se fouette encore une fois et allons faire la file à la caisse de l’épicerie, le panier rempli de prêt-à-manger.

Nous retournons vite à la maison, car nous sommes en retard à notre cours de hot yoga, d’aquaforme, de kickboxing, peu importe.  Car il est important de bouger, d’être en forme.  Un esprit sain dans un corps sain, c’est ce qu’on dit.  Et puisque l’esprit a été sollicité toute la journée, il faut maintenant s’occuper de l’autre moitié du dicton.  Autre coup de fouet.

De retour chez soi, on se permet de s’écraser quelques instants devant un quelconque écran — pour faire changement — pour s’apercevoir qu’il est grand temps de prendre une douche pour ensuite se mettre au lit.

Essoufflé?  Cette description est pourtant très sommaire.  Car à travers tout ça, il faut se brosser les dents après chaque repas, faire 2,5 h d’activités physiques par semaines (1), manger 7 à 10 portions de légumes bio-locaux par jour (2), faire le lavage, le ménage, entretenir une vie sociale et culturelle, s’informer des enjeux géopolitiques de l’heure, prendre soin de notre couple et/ou famille, faire une maîtrise pour assurer notre formation continue sans oublier de cotiser à des REER afin d’avoir une retraite de rêve.

Avec entrain.

Malgré le déficit de sommeil.

Jour après jour après jour.

Si certains semblent y arriver, moi, non.

Nous étudions longtemps et, pour la plupart d’entre nous, fort pour accéder à une profession à la hauteur de nos aspirations.  Pour assumer une vie d’adulte stimulante et épanouissante.  Et c’est très bien ainsi.  Seulement, personne ne nous parle de l’usure qu’engendre ce quotidien harassant, nous vidant de cette énergie qui faisait de nous une personne unique, créative, libre.  Du sentiment d’être étouffé par une routine que nous avons pourtant espéré.  Et c’est là le constat le plus affligeant : nous sommes-nous trompés?  Ou pire : sommes-nous paresseux?

Si ces deux questions me taraudent souvent, le milieu du travail m’aura tout de même appris l’humilité.  Je ne peux pas tout faire.  Ou plutôt, je ne peux pas tout faire avec autant d’ardeur.  Je dois choisir où consacrer mon énergie.  Ce choix n’est pas sans conséquence.  Parce que respirer et flâner ne me permettent pas de cotiser à un REER ou de faire le tour du monde.  Pourtant, je ne peux me résoudre à épuiser toute ma créativité et mon dynamisme dans un horaire aliénant, me rendant impatiente de fêter le travail au début septembre.

1. http://www.csep.ca/CMFiles/directives/PAGuidelinesBackgrounder_FR.pdf

2. http://www.hc-sc.gc.ca/fn-an/food-guide-aliment/choose-choix/fruit/need-besoin-fra.php