Au coin d’une rue bouchonnée, une camionnette blanche est conduite d’une main, l’autre pend à l’extérieur de la portière. Il fait beau et chaud. Les frontières tombent, les bulles éclatent, le monde s’ouvre aussi grand que les fenêtres de l’auto le permettent.
L’attention du conducteur du pick-up quitte le trafic pour se poser sur une cycliste qui débarre son vélo. Il émet alors un retentissant sifflement. Du coin de l’œil, la cycliste identifie l’origine du son sans relever la tête — ne surtout pas relever la tête comme le ferait un animal de compagnie bien dressé. Elle réussit enfin à désenchevêtrer le cadenas des rayons de la roue et au même moment, le trafic reprend de la vitesse, emportant avec lui le sifflement.
Se faire déshabiller du regard lorsque l’on marche sur le trottoir, se faire suivre par un dude qui réclame un sourire, se faire toucher la fesse ou le sein dans un bar, se faire couper la parole lorsque l’on exprime une opinion, reprendre la parole et se faire traiter d’hystérique ¹.
Ces exemples quotidiens et d’apparence banale illustrent un sexisme latent dans les rapports entre les hommes et les femmes. Des rapports strictement sexualisés. Car que dit-on exactement en usant ces propos et ces gestes? Je suis un homme, tu es une femme et voilà ce que je veux qu’une femme soit. Lorsqu’un homme aborde une femme de cette façon, il ne s’adresse pas à la personne, mais à un fantasme. Un fantasme réducteur, modelé de clichés physiques, sociaux et sexuels rigides et sans créativité ². L’unicité de cette personne est totalement évacuée. Et devant cet être qui n’existe pas vraiment au fond, tout est permis ³.
Il est pourtant reconnu que tous ont droit à l’autodétermination et à la liberté de se réaliser selon leurs aspirations. Et surtout de se sentir en sécurité pour l’exprimer. Comment expliquer alors ces propos et ces gestes quotidiennement répétés, toujours bien ancrés dans les rapports entre les hommes et les femmes? Parce que personne, pas même une femme, ne veut être étiquetée de féministe 4. Seulement, il n’y a personne de mieux placer que les femmes pour exiger un traitement égalitaire et respectueux envers elles. Qui prendra notre défense si même nous, nous refusons de le faire?
En ne nous affirmant pas, nous consentons, entre autres exemples, à l’inégalité salariale en faveur des hommes 5, perpétuons la croyance qu’une femme qui dit non aux avances d’un homme désire, en fait, signifier sa grande attirance envers celui-ci — c’est bien connu que les femmes sont pudiques et incompréhensibles.
Si nous ne sommes pas plus incompréhensibles que les hommes, nous sommes certainement trop souvent silencieuses devant ces situations. Ironique de penser que nous devons rester passive publiquement devant le machisme, mais qu’au lit, nous devons gémir et crier l’habilité sexuelle de notre partenaire quoi qu’il en soit réellement.
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Un petit café de quartier où il fait bon flâner, un café à la main, la bouche pleine de tartines. Près de la caisse, une cage d’oiseau dorée. Deux barbies y sont confortablement installées autant que faire se peut avec des jambes sans genou et des pieds éternellement pointés. Habillées de robes affriolantes, elles sourient sans faiblir, à travers les barreaux, à tous ceux qui croisent leur regard et même à ceux qui ne le croisent pas.
1 The Mansplaining: The science
3 L’ETS montrée du doigt pour son inaction. Une première plainte vient d’être déposée.
4 Pleurer comme un cochon de lait
5 L’injustice salariale frappe aussi les diplômées universitaires
La femme > que cette société.